La descente

[Ceci est la suite du RP commencé par Natalya dans la partie "Intronisation", où elle postule pour rentrer dans le Projet KO en étant totalement défoncée]

Un millier d'échardes, d'un froid tellement glacial qu'il en est trop réel, s'enfoncent dans le corps de Natalya, et viennent la tirer de son inconscience sans rêves. Reprenant brutalement contact avec la réalité, elle ne peut s'empêcher de pousser un cri, moitié de surprise, moitié de douleur. Après tout, peu de choses sont plus désagréables pour une femme qu'une douche froide sur les seins.

A mesure que ses yeux se réhabituent à la lumière, elle prend conscience du lieu où elle se trouve. En l'occurrence, la cahute de Gouranga. Mais cette fois-ci, l'ambiance est bien moins chalereuse que la première fois. La porte et le volet de l'unique fenêtre sont fermés, et seule une petite lampe à huile dispense une lueur vacillante dans la pièce. Le grand colosse est également accroupi juste devant elle, en train de la regarder d'un visage inexpressif, un seau vide posé à ses côtés...

La bouche pâteuse, une sensation d'inconfort la plus désagréable qui soit, et cette anxiété brutale : Où suis-je? Se demande la jeune femme.

Un instant il semble qu'elle reconnaisse Gouranga.


"Haaaar ... Sau.. Sauveur ?"



Elle émerge. Puis, soudain, le spasme, violent, sans appel.



"Beuaaaargl ... *touss* *touss* .. Heuurk ... *touss* .."


L'intégralité du contenu de l'estomac vient de trouver un point de chute au fond du seau. Bon, y'a des éclaboussures un peu partout, faut pas trop en demander non plus.


Natalya grelote, tire un bout de tissu moitié pour s'essuyer l'eau froide sur sa poitrine et la bile sur son menton, moitié pour tenter vainement de se réchauffer. Elle est mal.


"Froid .. J'ai froid ... A chaud .. Sauveur, aide moi! J't'en supplie là .. T'en as, non? Chuis sûre que t'en as! Si y'en a pas à l'Arkham, putain, chais pas où j'pourrais en trouver!!"


Le visage est livide, le regard perdu. Le corps de la jeune femme transpire l'angoisse et la détresse.


"Allez, mec. J'te sucerai la queue comme jamais une femme t'as jamais sucé. Crois moi .. Chuis une pro. Mais j't'en supplie, donne moi une dose. Même du haschich .. Allez, je serai reconnaissante et tu pourras le faire à l'oeil .. Je te promets! Je te jure!! Donne moi en, allez, s'il te plaît, Gouranga. J't'en supplie .."

-Ta gueule.

La phrase, rude et sans appel, vient arrêter le flot de supplications incohérentes de Natalya. Gouranga vient ensuite s'accroupir devant Natalya et lui saisit le menton de sa main droite. Levant son visage de façon à ce qu'elle le voit bien en face, il essuie de son pouce un peu de vomi à la commissure de ses lèvres.

-Espèce d'idiote... j'ai une tête d'marchand ? Pourquoi j'marchanderai ... c'que j'peux prendre ?

Joignant le geste à la parole, il saisit Natalya par les cheveux et la cambre. Puis, se penchant jusqu'à son cou, il lui murmure dans le creux de l'oreille.

-C'est marrant ... même si t'es pas trop mon genre, ça m'fait d'l'effet d't'avoir à ma merci... j'pourrais t'infliger un orgasme, là, et nous payer à tous les deux un bon fix d'endorphines... car le sexe, c'est une drogue comme une autre...

Brusquement, il la projette au sol, mais au lieu de se jeter sur elle, il se relève et s'éloigne à grand pas, en donnant un coup de pied rageur dans le seau, projetant des scories de contenu intestinal sur le sol. Faisant des allers-retour dans la pièce, comme un ours en cage, il reprend d'une voix plus rude.

-La drogue, ça permet d'aller très loin, très haut... rien d'tel pour s'connaîtr, pas d'soucis là d'ssus... mais l'aller, c'est que la moitié du chemin...

Il s'arrête, prend une chaise et s'asseoit face à Natalya, de façon à ce que le dossier soit devant et non derrière lui.

-Tu commences à piger ? Tu veux participer au Projet KO, mais l'Projet n'veut pas d'quelqu'un qui n'est pas libre...d'quelqu'un qui s'rait prêt à sucer la pine d'l'adversaire pour s'payer une dose...

Il s'interrompt quelques instants, le temps de réfléchir, puis reprend.

-Casse toi. Et n'revient m'voir que quand tu s'ras revenue du pays des neiges.

Natalya gît sur le sol, recroquevillée et tremblante. Les yeux un peu dingues, la tête inclinée sur le côté, la jeune femme écoute Gouranga avec crainte.



"Tu .. T'es qu'un batard de dire ça .. Jamais je trahirai pour un fix! Hey, ça va hein je me contrôle, moi, chuis plus une gamine ..."


Croit elle avoir vu une réaction du colosse noir à son dernier mensonge, Natalya prend peur et fuit à quatre pattes se coller au mur de planches derrière elle. Pitoyable petit animal perdu.



"Me frappe pas! .. Y'a pas besoin, hein. J'ai pigé j'te dis. J'ai pigé ..

Mais merde, si vous avez d'la came vous pouvez quand même en filer un p..."



Le regard de Gouranga suffit à lui faire taire la fin de son énième supplication.


"T'es .. T'es vraiment un enculé d'me faire ça .. J't'ai rien fait moi! J'ai pas mérité ça, j'en ai déjà suffisament chié jusqu'ici! Je fais tout pour être utile et tu m'rejettes ...

J'veux juste un peu d'came pour .. pour arrêter le froid. Oui, c'est ça. La came ça tient chaud, hein, et .. et ..."


La jeune slave, désespérée et en pleine crise, commence à sangloter, tremblante et recroquevillée comme une araignée crevée. Le silence de mort de la cahute est à peine troublé des hoquets de la junkie en pleine perdition.

Voyant la crise de manque de Natalya, Gouranga soupire. Il avait prévu d'être tranquille encore cette nuit au moins, mais là, les évènements se précipitaient. Après quelques instants de réfléxion, il va jusqu'à la table, griffonne quelques mots sur un bout de papier qu'il va déposer sur son lit, puis il revient vers Natalya. Soulevant sans peine le corps rachitique et tremblant de la junkie, il la jette comme une pièce de gibier sur son épaule, et sort dehors.

Le froid glacial de la nuit hivernal accentue en convulsions les tremblements de Natalya. Fort heureusement, le voyage est bref : Gouranga entre dans une autre cahute à quelques dizaines de mètres de la sienne.

Contrairement à la sienne, celle-ci semble avoir été récemment désertée : le lit est fait, mais il n'y a plus que le strict minimum niveau mobilier, et aucun objet personnel ne traîne nulle part. Se dirigeant vers le lit, il y fait asseoir Natalya, et se remet à la déshabiller, encore une fois. Mais cette fois-ci, il s'interrompt lorsqu'elle se retrouve en sous-vêtements, puis il l'enroule dans la couverture et la fait s'allonger sur le lit, de façon à ce qu'elle n'aie pas froid. Se relevant, il va chercher toutes les couvertures et draps disponibles dans une petite armoire proche, et revient border Natalya avec.

-Tu commences à piger, maint'nant, pourquoi j'ai fait tout ça ? J't'ai soignée pour que tu n'souffres plus. J't'ai lavée pour que tu t'sentes propres. J't'ai nourrie d'façon à ce que tu sois rassasiée. Tout cela avait surtout comme but d'te donner un souvenir agréable auquel tu puisses t'raccrocher... car les jours qui viennent seront très éprouvants.

Lessivée, tremblante et craintive vis-à-vis du Grand Noir, Natalya ne manifeste pas la moindre résistance. Une véritable poupée anorexique lovée dans ces bras aux allures de troncs d'arbre.


Installée, déposée même, confortablement au creux de ce lit douillet, la jeune femme garde les yeux grands ouverts, étrangement trop effrayée pour les fermer. Ce regard un peu perdu est posé sur le visage de Gouranga, buvant littéralement ses paroles. Elle a cessé de trembler.


"E..Eprouvant? ... Qu'est ce que tu .. tu as prévu pour moi? Pour après? Dis le moi. Sinon je .. je pourrai pas dormir.."

-T'as dit que tu voulais être une activiste, si j'me trompe pas... c'est ce que tu seras p'têtre, une fois que tu s'ras... sevrée. D'ici là tu vas en chier en r'vanche.

Gouranga se lève alors pour allumer un petit feu dans la cheminée, afin de réchauffer un peu l'air glacial, et reviens jusqu'au lit. Repliant doucement la chenille informe que constitue le bas du corps de Natalya emmitouflé, il s'asseoit en tailleur face à elle. Il prend alors la parole pour une longue veillée, seuls ses yeux légèrement éclairés par le reflet du feu étant visibles dans l'obscurité.

-J'sais c'que tu ressens. L'état de manque, j'veux dire. Planer via la drogue est tellement bon que le simple retour à l'état normal est une douleur. Et plus les heures passeront, plus ça va s'accentuer. Bientôt, tu s'ras prise de tremblements, de vertiges. Puis l'malaise s'accentuera, et tout ton corps ne s'ra plus que souffrance. Enfin, la fièvre et l'délire vont t'prendre, selon ton état d'dépendance, et il est possible que t'aie des spasmes et des crises d'hystérie. Mais t'inquiète pas, j'veillerai sur toi...

L'anticipation de la douleur est bien plus terrible que la douleur elle même, et c'est en vertu de ce principe que Natalya commence à trembler dans son cocon à l'idée de ce qui l'attend. Gouranga, quant à lui, continue de parler, mais plus son mal-être croît, plus elle a du mal à comprendre ses propos, dont elle n'arrive à saisir que quelques bribes deci-delà.

...drogue...la dernière aventure personnelle avec la mort qui restait pour les prisonniers du système d'antan. La seule manière d'échapper au quotidien répétif et absurde. C'est c'qu'avaient compris d'plus en plus d'monde avant l'Crash : que la drogue n'est un problème que si on envisage d'vivre vieux. Mieux vaut brûler que d's'éteindre, comme disait Cobain...

...

...l'Histoire, c'est l'une des pires conneries qui soient. Pourquoi crois-tu que les gens adoraient les musées, les brocantes, et tous les trucs qui leurs rappellaient leur jeunesse ? Parce que le passé est bien plus rassurant que l'inconnu du futur. L'inconnu, ça fait flipper. Et donc les gens préféraient s'embourber dans l'cercle vicieux d'un quotidien répétitif au lieu d'aller d'l'avant. De grandir. D'évoluer. Ce n'est qu'une fois qu'on aura fait table rase du passé que l'futur nous appartiendra totalement. J't'ai déjà dit que mon rêve, c'était d'me torcher l'cul avec la Joconde ?

...

C'est ainsi que se passe le reste de la nuit : dans un cauchemar poisseux, irréel, distordu par la fièvre. Seule la voix de Gouranga, tel un fanal dans la nuit, parle sans discontinuer et rattache l'esprit embrumé de Natalya à la réalité. Ses propos ne sont cependant pas toujours très clairs, et dans l'état de prostration où elle se trouve, Natalya ne peut en saisir que quelques bribes indistinctes.

...la boucle était bouclée : la télé conditionnait les gens à avoir des besoins auquel la société répondait ensuite. Dans l'monde d'avant, on travaillait sa vie entière pour avoir l'salaire d'la sueur, et s'payer des merdes dont il n'avait pas besoin. On vivait par procuration la joie d'la vie trépidante d'différentes stars, on s'branlait en pensant à toutes ces pétasses cocaïnées qu'on n'baiserait jamais, on cessait d'ressentir quoi que ce soit d'façon personnelle, tout passait par l'prisme d'la boîte à images. On devenait simplement des rouages, des composantes du système, un sous-produit de plus de ce mode de vie obsessionnel. Les pubs parlaient d'plans-épargne, de capital osseux, d'régime de retraites... tu commences à piger pourquoi l'Crash a été autant une délivrance qu'un cataclysme ?

...

...tu peux pas cesser d'souffrir, mais tu peux l'accepter. Faire c'que font tous les êtres vivants depuis toujours: s'adapter. Adapte toi ! Dis toi que la douleur n'existe pas vraiment. Ce n'est qu'un putain d'signal éléctro-chimique transmis par ton corps à ton cerveau et interprété comme quelque chose de désabréable. Rappelle toi des conn'ries philosophiques genre stoïcisme : "Douleur, tu n'est pas un mal". Endure. Essaye d'tenir, à défaut d'vaincre, ce s'ra déjà beaucoup...

...

...j'suis certain que t'as dû t'faire une bonne p'tit branlette mentale pour essayer d'trouver pleins d'bonnes raisons d'promouvoir l'anarchie. Elles sont p'têtres vraies et sincères, voire même pertinentes. Mais dis toi bien une chose : j'm'en cogne complètement. Pour chaque idéaliste du Projet KO qui essaye d'sauver ce qui peut l'être d'ce monde agonisant, il y a un allumé qui n'fais ça que pour pouvoir donner libre cours à ses penchants violents, pervers, haineux...voire pire. Le moyen, les raisons, les justifications, rien de tout cela n'a d'importance, seul compte le but. A savoir, l'annihilation de toute forme d'organisation de l'Homme. A partir de là, à toi d'trouver tes propres raisons. D'réfléchir. D'imaginer...

...

Le reste de la nuit se poursuit ainsi, pendant un temps impossible à déterminer, jusqu'à ce que la fatigue finisse par vaincre la douleur, et emporte Natalya dans le néant d'un mauvais sommeil sans rêves...

La lithanie de Gouranga pénètre l'esprit nébuleux de la jeune femme comme papa rentre dans maman. L'état d'hébétude dans lequel est plongé Natalya l'amène à confondre les images issues de son propre délire au flot de notions et de références du Grand Noir.



.. Mieux vaut brûler que d's'éteindre ... L'inconnu, ça fait flipper ... mon rêve, c'était d'me torcher l'cul avec la Joconde ...


Les paroles de Gouranga transpercent les ténèbres de sa demi conscience.


... On vivait par procuration la joie d'la vie trépidante d'différentes stars .. à piger pourquoi l'Crash a été autant une délivrance qu'un cataclysme ... Adapte toi ! Dis toi que la douleur n'existe pas vraiment ... Le moyen, les raisons, les justifications, rien de tout cela n'a d'importance, seul compte le but ...


Les derniers rouages encore stables de cet esprit torturé saute les uns après les autres.


.. à toi d'trouver tes propres raisons ..


Lorsqu'enfin l'aube salvatrice se lève et laisse filtrer ses quelques rares rayons au travers de l'atmosphère hivernale, gelée et brumeuse, la jeune femme émerge de sa terrible nuit. Le malaise est atténué. La fatigue ronge son corps rudement mis à l'épreuve. La nausée perdure.

Gouranga la veille toujours, assis sur sa chaise, légèrement vouté par la fatigue. Lui aussi accuse le coup d'une énième nuit blanche.

Doucement, Natalya fait tourne la tête, lourdement appuyée sur l'oreiller, vers le colosse et ouvre les yeux. D'une voix faible, elle interpelle son gardien.


"Dis .. C'est quoi la Joconde? ..."


Les paupières se ferment, un léger sourire apaisé sur le visage, la jeune femme attend tout autant la réponse que ce sommeil salvateur qu'elle a espéré tout au long de cette longue nuit de souffrance.