Vers de glorieux horizons anarchistes

Nouvelle lune. Nouvelles préoccupations. Natalya zonait depuis quelques instants dans la rue principale, dans le froid pénétrant étoffé de l'humidité issue de la forêt environnante. Faisant les cent pas entre la cahute de Gouranga et le poste central, les deux lieux où elle avait le plus de chances de trouver le géant Noir, c'est avec soulagement qu'elle l'interpella sitôt que ce dernier apparut enfin au sortir de sa cabane.


"Ah! He! Sauveur, dis moi .."


Un regard du grand noir pour lui rappeler que ce sobriquet ne lui plaît vraiment pas.


"Heu .. Ouais. Je.. Comment dire. Tu m'avais dit avoir quelques plans me concernant. Ben, pour faire simple, j'aimerai qu'tu m'en dises un peu plus. Juste là, maintenant. Hey, légitime, non? Ou pas? Bref.


Pourquoi j'viens t'engoncer avec ça de bon matin, hein, c'est ça? Ben, rapport au départ d'un convoi pour Racayenne cette lune, si ça vous arrange que j'y aille, histoire de .. ou alors si y'a mieux à faire, moi je reste. Je vais où on m'dit d'aller, mais pour l'instant on m'dit rien. Alors j'fous rien. Pas qu'ça m'dérange .. Du tout, même. Mais à la longue je risque de faire des jaloux. Tu vois où j'veux en venir?"

Gouranga avait passé une excellente nuit, et quitte à choisir, il aurait préféré faire la grasse matinée sous la couette en compagnie de son amante. Mais gérer la "bureaucratie de l'anarchie", aussi paradoxale soit le concept, nécessitait de se lever tôt et de quitter la chaleur humaine d'un lit pour une sortie sous la neige. Son humeur, rarement joyeuse, était donc plus que maussade alors qu'il sortait de sa cahute... et le verbiage incessant de Natalya, semblable aux jappements d'un chiot ayant retrouvé son maître, acheva de lui faire monter le sang aux tempes.

-Tiens, t'es d'jà debout, toi ? J'pensais que tu s'rais convalescente plus de temps, ça m'aurait fait des vacances...

Il se met en route vers le bar sans attendre sa réponse, et Natalya n'a d'autre choix que de lui emboîter le pas.

-Au fait, arrête avec tes "j'vais où on m'dit d'aller", si j'te dit d'sauter à cloche-pieds, tu l'fais ? Bref, t'es assez grande pour faire tes propres choix j'pense. En c'qui concerne Racayenne, j'pense que c'est un p'tit peu trop tôt pour toi, il t'reste des trucs à apprendre ici. Justement, à c'propos, prépare toi, j'viendrai t'rendre visite demain matin, avec des accessoires, héhé...ce s'ra la suite d'ton apprentissage. Mais d'ici là, barre toi, j'ne veux plus t'voir dans mes pattes.

Piquée dans ce qu'il reste de son orgueil, la jeune femme plisse ses yeux rougis par la weed. D'un ton acerbe, la junkie lâche son amertume.



"Ok, t'inquiète pas, j'me tire. Tu me verras plus te traîner dans les pattes. De toute manière, j'ai horreur de la compagnie, surtout la mauvaise."


*Ptouh!*


Un crachat dédaigneux au sol. Comment ose-t'elle cette petite ingrate!


"J'attendrai, donc, puisque je n'ai pas l'choix. Et je vais même faire preuve d'indépendance d'esprit, tiens, comme le dit Monsieur Gouranga. Regarde, j'prends une décision par moi-même! Fou ça! J'vais m'engrainer au sommet d'la vigie, histoire de tuer le temps .. Au lieu de tuer autre chose! Peuh!"



Et Natalya de détaler sans attendre en direction de la tour de bois, hurlant par dessus son épaule.


"Et tes accessoires tu peux te les foutre au cul! J'aime pas le fétichisme!"

Après une nuit d'un mauvais sommeil, Natalya émerge, l'esprit embrumé par la fatigue de ces derniers jours et l'état de manque dû à la privation de drogues. Prêtant l'oreille, elle finit par acquérir la conviction que le grésillement qu'elle entend n'est pas le fruit de son imagination. Tournant prudemment la tête vers la source du bruit, tenant d'être la plus discrète possible, elle découvre Gouranga, accroupi devant la cheminée. Les flammes des braises sont la seule source d'éclairage de la cahute aux volets fermés, et elles font danser l'immense ombre de Gouranga sur le plafond.

Le rythme cardiaque de Natalya s'accélère, et plusieurs questions viennent se téléscoper dans sa tête à propos de Gouranga, de sa présence... et surtout de ce qu'il est en train de préparer. Fort heureusement, son inquiétude se dissipe un peu lorsqu'une délicieuse odeur de viande grillée vient chatouiller ses narines.

Après quelques minutes, Gouranga se relève et se retourne vers le lit. Constatant que Natalya est réveillée, il lui lance :

-C'est des brochettes d'viande, tu vas avoir besoin d'protéines.

Telle est la seule explication qu'il donne quant à sa présence dans la cahute de si bon matin.

Il se relève alors et se dirige résolument vers elle, qui se recroqueville instinctivement sous les couvertures à l'approche du colosse d'ébène.

-Mmhhh, bien dormi ? A voir ta tronche d'déterrée, j'dirais que non, et ça n'm'étonne pas trop, héhé...
Si j'suis là, c'est pour continuer ta p'tite ... cure, et aussi t'apprendre deux ou trois trucs. Pour commencer, une chose importante que tu dois piger, c'est que la douleur, c'est simplement une comparaison entre deux états. Toi t'es dans ton état à peu près normal, mais comparé à la jouissance d'planer via la came, ça doit être l'enfer... mais rassure toi : j'vais si bien m'occuper d'toi, là, qu'une fois que j'aurais fini, cet état normal te semblera être l'paradis, héhé...

Avec un sourire sinistre, il attrape la couverture, et l'enlève brusquement, révélant le corps de Natalya dissimulé dessous...

Les larges mains de Gouranga se referment comme un étau sur les chevilles de Natalya, immobilisant ses jambes, tandis que cette dernière obéit aux instructions reçues et se met à faire des abdominaux.Alors que la fatigue commence rapidement à se faire sentir du fait de sa mauvaise condition physique, Gouranga se met à l'abreuver de paroles pour la galvaniser.

-Cherche pas à compter combien t'en fait, c'est pas l'but. L'but, c'est que tu t'défonces tellement jusqu'à ressentir l'vertige de l'hypoglycémie. L'but, c'est que tes fibres musculaires s'déchirent tellement que que ton organisme t'envoie une bonne dose d'endorphines. L'but, c'est que t'arrive jusqu'à tes limites.

Aux alentours de vingt, les poumons de Natalya sont semblables à deux soufflets de forge poussiéreux et n'exhalent plus qu'un souffle rauque.

-Arrête d'penser, ça n'sert à rien dans l'cas présent. Concentre toi plutôt sur l'envoi d'ordres simples et primaires à ton corps. En un mot : adapte-toi !

Vers le 30è abdo, le coeur de Natalya est un animal en furie enfermé dans sa cage thoracique et qui lutte en battements furieux et désordonnés pour sortir.

-Dis toi que c'que tu fais est inutile, car tu vas d'toutes façon l'paumer. Ton corps. T'es déjà en train d'crever, et chaque instant qui passe t'rapproche davantage d'ton trépas inéluctable.

A l'approche des 40, la sueur découline le long de son corps, trempant ses sous-vêtements, serpentant entre ses seins, et collant ses cheveux à son visage.

-Tu piges, p'tite camée ? Toi, moi, et tous ceux qui sont dans l'Projet, ils n'ont aucune valeur par ce qu'ils sont, mais par ce qu'il font. Ton bras n'sert qu'à porter ton arme. Ton doigt n'sert qu'à presser la détente. Ta langue n'sert qu'à faire connaître tes idéaux.

Finalement, Natalya s'écroule de fatigue après un ultime mouvement. La laissant haleter quelques instants, Gouranga reprend ensuite.

-Bon, c'est pas trop mal, mais tout c'que t'as fait n'sert à rien. C'qui compte, c'est ce que tu réussiras à faire maintenant que tu crois être arrivée jusqu'à tes limites, peu importe que t'en fasse un ou trente. Donc continue !

Péniblement, Natalya tente d'obéir...

Un...

Deux...

Trois ...


La nausée. Violente, terrible, mais encore surmontable. L'effort brutal, soudain, met le corps de la jeune femme à l'épreuve. Hélas, il est loin d'être à la hauteur.


Qu..Quatre...


L'effort devient insoutenable. La crampe menace ses abdominaux déjà tendus à l'excès.


Cin...


Natalya se relâche totalement et s'effondre sur le dos dans un long gémissement, grimaçant sous la douleur.


"Gwaaaaah ! . .. .. J'en peux plus! Putain .. *huf* J'en peux plus .. j'te jure .. mon bide me brûle .. ça nique trop, je .."


L'étreinte sans effort de Gouranga bloque parfaitement les chevilles de la junkie. L'état de détresse physique, associé à cette absence de liberté, provoque une montée d'angoisse dans le cerveau ravagée de la jeune femme.


"A.. Allez! J'ai obéis, là! J'ai vu mes limites et ... putain, j'ai la gerbe, j'te promets. Lâche moi les jambes. J'étouffe. Voilà à quoi m'amène de dépasser mes limites : A dégueuler! .. Tu veux quoi, d'moi? ... ..."


Le regard de Natalya, remontant la silhouette épaisse de Gouranga, se heurte aux yeux décidés du grand Noir. Le sourire, surtout, met la jeune femme extrêmement mal à l'aise. Cet homme l'effraie.


"Ah .. Ok, je .. je vois où tu veux en v'nir, hein, chuis pas conne tu sais."


Elle déglutit difficilement, détournant ses yeux du colosse d'ébène.


"J'dois obéir, m'adapter, mais en même temps prouver que j'peux penser par moi-même. Je suis un peu perdue, pour le coup. Légitime, non? Heu .. Non! J'veux dire, ok, je vais m'adapter et parler par mes actes! Servir le projet, hein, par ce que j'vais y bâtir! Ouais, parole.

Et .. j'te jure que c'est la dernière fois que j'fume. J'ai .. C'est Dalhia qui m'a lâché un bédo et .. elle est trop cool cte meuf .. T'es venere? .. J'm'excuse, tu sais .. J'recommencerai plus, promis .."

Gouranga secoue la tête, désabusé, lorsqu'il entend les lâches excuses de Natalya. Décidément, elle ne sortirait jamais de ses gonds.

-Arrête d'geindre et d't'excuser, ça sert à rien. Et essaye d'piger que c'est pas la drogue, mais la sujétion à la drogue, qui pose problème. La drogue, c'est un outil comme un autre, et j'te garantis que si on va au combat ensemble un jour, j'serai l'premier à m'enfiler quelques gélules d'amphétamines, ou à m'injecter d'la morphine si j'me fais trouer l'lard. Mais sucer la pine d'qui que ce soit pour en avoir, jamais. Une fois que tu t'seras débarassée d'ce carcan chimique, tu pigeras.

Il libère alors enfin ses chevilles, où la marque rougeâtre de ses paumes est encore imprimée, et va chercher les brochettes qui ont fini de cuire. Il commence à mordre à pleine dents dans la première, ses dents blanches contrastant de façon étonnante avec le teint de son visage, et en tend une autre à Natalya.

-Bon, c'est pas trop mal, si tu arrives à t'nir ce rythme quelques jours sans claquer j'devrais pouvoir faire quelque chose d'toi. Magne toi d'engloutir ça, on va aller faire un p'tit tour dehors.

Tandis que Natalya commence à manger, il va ouvrir son sac afin d'y prendre ses "accessoires". En l'occurrence, une arbalète double en pièces, qu'il monte et tend en un temps record avec des gestes sûrs et précis. Une fois le carreau en place, il met Natalya en joue pendant quelques longues et stressantes secondes...

-Du travail d'pro, Spiff est vraiment un maître dans c'domaine, dit-il en l'abaissant. On va aller chasser un p'tit peu avec ça, et j'peux te garantir que viser avec un appareil qui pèse ses dix kilos va t'faire les biceps, héhé...