Le pari

La nuit est tombée depuis quelques temps déjà, et la salle commune où la plupart des habitants d'Arkham prennent leurs repas est quasiment déserte. Quasiment, car sur une table isolée pour la circonstance, tous les préparatifs d'un repas aux chandelles sont en place. La nappe à carreaux ne semble pas trop malpropre, une petite coupelle faisant office de brasero remplace les chandeliers, et des couverts classiques mais propres sont en place.

Graciellä, bien habillée pour la circonstance, est attablée devant une assiette vide, tandis que la place de son vis-à-vis est aussi vide que son assiette.

Au bout de quelques minutes d'attente, la porte des cuisines s'ouvre, laissant le passage à un Gouranga habillé avec un minimum de recherche, pour une fois. Il porte avec son bras gauche un grand plateau chargé de victuailles, car son bras droit est en écharpe.

Déposant délicatement le plateau sur la table, Gouranga s'asseoit gauchement en face de Graciellä, manifestement pas tout à fait à son aise. Jetant des regards furtifs aux alentours et constatant qu'ils sont bien seuls, il se penche alors vers elle pour lui murmurer, avec un air de conspirateur :

-Bon, on est bien d'accord, hein ? J't'offre un dîner et en échange tu dis à personne que c'est toi qui m'a pété le bras au bras-de-fer, ok ?

Graciellä c'etait mise sur son trente-et-un.
Elle était invitée à diner. Ce fait était rarissime, il fallait qu'elle soit à la hauteur de la situation. Elle avait mis sa robe en cuir bleu petrole, tres sexy et elle s'etait maquillée normalement, elle n'avait pas mis de noir.
Assise à table, ses jambes croisées montraient des bottes hautes assorties à sa robe.
La table était mise avec soin. on eut dit qu'elle avait été apretée pour un diner en amoureux. Pourtant c'etait loin d'être le cas.
Graciellä savourait son triomphe sur Gouranga. Elle lui avait mis la paté au bras de fer et il payait son pari perdu. Il entra portant un plateau plein de bonnes choses.
Le sourire qui fottait sur les lèvres de Graciellä s'accentua.

- Ne t'inquiete pas Gouranga, je ne dirais rien ! Je serais muette comme une tombe !
Que m'as-tu preparé ?

Le plateau contient différentes pièces de viande cuites, assaisonnées d'herbes et d'épices diverses. Un autre plat plus concave contient quant à lui une sorte de purée de tubercules dont le goût est proche de celui de la pomme de terre. Sans être de la haute gastronomie, le repas dégage néanmoins une odeur alléchante.

Gouranga sert Graciellä en premier, avec, c'est le cas de le dire, des gestes gauches, et un millier de précautions pour éviter une gaffe. Une fois qu'il est servi aussi, il s'asseoit en face.

-Bon ben... bon appétit. J'suis pas un spécialiste des trucs bizarres que fait Arthur, genre rognons de rat sauce forestière sur son lit d'graines d'colza, mais à mon avis ça doit être mangeable, héhé...

Joignant le geste à la parole, il se met à couper péniblement sa viande d'une seule main...

Graciellä se laissa servir puis goutâ. Elle fit un signe approbateur de la tête

- C'est excellent ! Et je m'y connais en bonne cuisine ! Tu ne veux pas que je t'aide à couper ta viande ? tu en mets partout !!

Et avant qu'il reponde, elle s'etait saisie de l'assiette et lui decoupa la viande

- Ton bras se remettra vite, y'a rien de casser, juste une luxure ! Demain tu repasses dessus l'onguent que je t'ai donné et apres demain rien n'y paraitra.

Elle lui fit un grand sourire.

Une radio crachotte du côté des cuisines

Crshhhhhhnga ? Gouranga tu es toujours là ? Normalement ça doit être bon, tu n'as pas oublié les herbes j'espère ? Bien entendu on est d'accord, tu as cuisiné ça tout seul. Enfin faudra que tu apprennes à ne pas parier n'importe quoi. Ou alors à ne miser que ce que tu sais faire. Les recettes express à distance c'est comme... comme se dire des mots doux à la radio. Ca n'a pas autant d'éclat que lorsqu'on est près de son sujet. Bon je te laisse, ton dîner va commencer. Dire que je crève de faim pendant ce temps, tu es vraiment un sans-coeur. Tu me dois un service. Terminé.

*silence*

Aux premiers mots d'Arthur émanant de la radio, Gouranga sent ses cheveux inexistants se dresser sur son crâne. Il avait oublié d'éteindre la radio ! Réagissant au quart de tour, il se met à tousser très violemment, couvrant la voix d'Arthur. Finalement, lorsque le silence a cédé la place à l'intervention du lointain cuisinier, la toux de Gouranga se calme peu à peu.

-Heu... désolé, une arête...

Se rendant compte qu'il mangeait de la viande rouge, il se lève précipitamment, pour éviter les questions dérangeantes.

-Et j'viens de me rappeler que j'ai oublié d'éteindre... le feu, j'reviens de suite.

Allant à pas précipités dans la cuisine, il referme hâtivement la porte derrière lui. Mais l'huis ne suffit pas à couvrir le bruit caractéristique que ferait une radio si elle était projetée avec force contre un mur.

Cixi entra dans la salle. Elle était vide à l'exception de Graciella qui semblait rire toute seule. Il y avait pourtant deux couverts. Hésitante elle s'approche de la jeune femme.

- Bonsoir. Il y a l'air d'avoir de l'animation par ici...

- Bonsoir Cixi ! assieds-toi ! c'est Gouranga qui est....

elle recommença à rire

- dans la cuisine et .....

son fou-rire redoubla, impossible à maitriser.

Après s'être passé de l'eau sur le visage, Gouranga revient dans la salle, l'air plus serein. Mais lorsqu'il aperçoit Cixi, il pousse un gémissement de désespoir en levant les yeux au ciel. Là, c'était le coup de grâce : il avait touché le fond, la situation ne pouvait pas être pire.

S'avançant doucement vers la table, tel un condamné qui s'avance vers l'échafaud, il lance à Cixi, d'une voix qui se voulait décontractée :

-Tiens, t'es là toi aussi ? Bon ben voilà, c'est ça mon fameux "repas d'affaire", héhé...

Il baisse les yeux, gêné, ne sachant pas trop quoi rajouter, ni s'il devait se rasseoir. Quitte à choisir, il préférerait être sur la tour de guet du Passage plutôt qu'ici...

Cixi reste un moment sans voix. Puis une flamme s'allume dans ses yeux. Elle fixe Gouranga.

- Repas d'affaire ? Tu rigoles là, ça un repas d'affaire ! Pour un repas d'affaire tu cuisines et tu t'habilles bien ? Tu me prends pour une cruche ?

Elle se plante devant lui. Elle semble furieuse...

Et d'ailleurs pourquoi tu ne m'as pas dit que tu dînais avec Graciellä, tu as honte d'elle ? sans vouloir te vexer Graciellä, ou alors il y a autre chose, la preuve tu baisses les yeux.

[La porte de la pièce s'ouvrit et se referma à nouveau, et lorsque les gens se retournèrent pour se rendre compte que les bruits de pas s'approchant provenaient du Kormag fraichement débarqué, il purent remarquer comme une sorte d'expression d'incrédulité sur sa face. En effet ses traits reflétaient un mélange de surprise, d'étonnement, tout un tas de questions, et d'ailleurs probablement d'autres conneries que nous nous abstiendrons d'énumérer..

Il s'avança donc vers le petit groupe formé du Gouranga, de Cixi et de Graciellä avant de rester sur place à un petit mètre d'eux, et de les toiser.. Il matta de la tête aux pieds le black et la jeune femme attablée, tout deux en tenue de soirée plus ou moins plus présentables que d'habitude et l'interrogation se fit plus forte sur sa tronche jusqu'à ce qu'il lache quelques mots à sa belle]

"Tiens heu.. J'te cherchais ma puce, mais en fait c'est quoi tout c'bordel ici? ça veut dire quoi la boustifaille genre c'est le Ritz ici, les tenues de soirée et tout?

Et qu'est ce que tu branles avec l'autre renoi d'mes burnes?"

[Il porta alors son regard sur le black, ou plutôt diront nous Afro Bonhomme, pour ne pas froisser les plus exigeant en matière de dénomination raciale, et lui fit ]

"J'espère plutôt pour ta gueule que t'étais pas en train d'monter un vieux plan foireux genre sérage d' ma meuf? Parce que dans c'cas là tu f'rais bien de commencer à courir s' tu tiens à tes dents..

Ou alors p'têtre que j'me trompe? C'est soirée échangisme? Nan parce que ça aussi c'est mort, y'a même pas moyen qu't'ailles jouer avec ta vieille andouillette black toute flasque dans ma copine...

Bon alors c'est possible d'avoir des explications ou faut que j'commence à péter des bouteilles sur des cranes??!"

Voyant dans l'arrivée de Kormag une diversion aussi opportune qu'inesperée, Gouranga avance vers lui en tendant son unique bras valide.

-Ahhh Kormag, t'es là aussi ? Ca fait plaisir de te voir !

Arrivant à son niveau, au lieu de lui serrer la main, il lui fait une franche accolade, comme s'il retrouvait un ami proche après une longue séparation... alors qu'ils s'étaient vus il y a quelques heures à peine. Le serrant contre lui, il commence à l'étrangler inconsciemment à cause du stress de la situation. Se penchant à son oreille, il lui murmure :

-J'suis dans une galère noire, mec ! T'as intérêt à m'sortir de là fissa !

Kormag, qui ne peut plus respirer et de facto parler, se contente d'acquiescer.

-Bon, v'là le plan : tu gères Graciellä, t'as l'habitude, et moi j'm'occupe de Cixi...

Le visage de Kormag commence tout doucement à rougir sous l'effet de la strangulation, et les veines de son front deviennent saillantes.

-Sans déconner, si tu m'sors d'ce merdier, j'te revaudrai ça au centuple...

Gouranga relâche finalement Kormag, qui reprend péniblement sa respiration. Avec un grand rire, Gouranga lui donne une tape aussi magistrale
qu'amicale dans le dos, manquant de le faire tomber par terre.

-Hé ben, qu'est ce qui t'arrive mon gars ? Un p'tit coup d'barre ? Allez, vu que t'es là, t'as qu'à t'joindre à nous, non ? Il y a bien assez à grailler pour tout l'monde d'toutes façons.

Sans vraiment lui laisser le temps d'accepter, il retourne vers Cixi. Désignant la cuisine d'un geste de la tête, il lui dit :

-Bon ben, j'crois qu'il va nous falloir deux couverts de plus finalement... tu peux m'filer un p'tit coup d'main pour finir d'mettre la table ? J'ai plus qu'un bras d'valide, héhé...

Graciellä ne voulait pas intervenir laissant Kormag se debrouiller avec Gouranga mais elle était inquiete quand même, il n'allait pas etrangler son homme devant elle quand même, le Gouranga. Elle ne souriait plus et s'appretait à aller s'occuper du bras valide quand Gouranga lacha enfin Kormag et fila dans la cuisine entrainant Cixi. Il avait interet, la colère commençait à poindre chez Graciellä.
Ce pari innocent commençait à prendre une tournure qui ne lui plaisait pas.
Elle allat prendre Kormag dans les bras et lui dit

- Cheri, c'est juste un pari qu'il a perdu et qu'il honnore. Un bras de fer. Tu veux qu'on rentre ? Ça ne m'amuse plus du tout et je n'ai plus faim !

Cixi avait observé la scène avec un peu de frayeur : plus Kormag devenait rouge, plus le changement d'attitude chez Graciellä ne lui annonçait rien de bon. Elle se laissa donc entraîner docilement dans la cuisine sans pour autant perdre de vue son but. Gouranga avait beau semblé blesser, il n'allait pas l'avoir aussi facilement.

Elle observe, curieuse, la cuisine où elle mettait la première fois les pieds. Une radio semblait avoir eu un accident. Après son inspection, elle s'adosse à un mur et regarde Gouranga, elle attend ses explications.

- Alors ? tu as quoi à dire ? Et ne pense pas que ta petite diversion avec Kormag va réussir !

le placard où sont rangé les faitouts résonne

sccchrrr Allo... allo? qui c'est qu'a cassé ma radio? attention hein, vous croyez que je vous voit pas?

bein c'est vrai j'vous vois pas mais j'ai quand même une fréquence qui répond pu, heureusement que j'ai une radio de secours, mais j'vous préviens va falloir réparer.... comment on fera pour annoncer les services maintenant, a la voix comme avant? c'est malin tient...

je vous le dit tout net hein? quand je reviens ça va chauffer.
Greuugneugneu... s'é casser ma radio...euh..

J'vous déteste!

*click*

[Après un preste et chaste calin, l'homme s'écarta de Graciellä et se gratouilla le crane, attendant que les deux autres aient disparus dans la cuisine, pour reprendre la parole]

"Heu bah ça m'a l'air d'être le bordel tout ça.. Après tout j'pense que Gougou va d'jà avoir à faire avec sa grosse alors bon au pire on peut se tailler, c'est comme tu veux.. Ou alors on finit le repas vite fait pendant qu'ils sont pas là, c'est que j'ai un peu la dalle moi.."

[Il regarda Graciellä, puis zieuta sur les plats sur la table, puis rematta sa compagne, puis rezieuta sur la table, et tel la vile belette furtive il se précipita sur le repas qui était présenté à lui comme une offrande divine, et se mit à engloutir à grosses bouchées la nourriture, pendant qu'on ne pouvait pas le griller..

Il fit cependant une petite pause et lança à Graciellä, la goule encore à moitié pleine de bouffe]

"Chien donc chinir ton achiette ma cholie! L'temps qui ch'explichent tout leche deux on a biench ltemps! Et puich ch'est que chédomachion, j'laiche les dents à Chourancha mais chlui bouffe chon achiette, dchachon il aurap lus faim en chortant de lach bach!"

[Et hop il repartit dans son marathon d'engloutissage. meme pas assit sur la chaise, il était debout, penché au dessus del 'assiete et baffrait comme un gros sac en rigolant..]

Voyant qu'il était au pied du mur et qu'il ne pourrait cacher plus longtemps à Cixi sa honteuse défaite, Gouranga se décide à passer aux aveux. En éteignant la radio qui avait fait entendre la voix de BUG au préalable.

Allant jusqu'à elle, il l'enlace tendrement de son unique bras valide, et se penche à son oreille pour murmurer :

-Bon, j'crois bien que j'suis grillé là... donc oui, j'avoue : j'ai fait un bras de fer avec Graciellä avec un pari débile à la clé, et le résultat est là : le bras pété et un dîner. T'imagine pas la galère que ça a été de tout cuisiner avec juste le bras gauche. En tout cas ne va pas t'imaginer qu'il y ait autre chose entre moi et Graciellä, hein, les filles bâties sur l'modèle de la Diane chasseresse, c'est pas trop mon genre.

Se détachant d'elle, il va jusqu'au placard à couverts prendre de quoi mettre la table pour deux convives supplémentaires.

-Hum, tu m'filerais pas un p'tit coup d'main, s'il te plaît ?

Graciellä aimait son Kormag mais elle detestait le voir se baffrer de la sorte mais bon.. quand on aimait il fallait aussi accepter les defauts. Elle soupira bruyament mais ne lui dit rien sinon il aurait fait pire, il en etait capable. Elle s'assit tranquillement et commença à manger

- Tu sais, je l'ai gagné ce pari, c'est MON diner, donc pas besoin de te precipiter. Ils vont arriver et on va passer une bonne soirée comme c'etait programmé au depart. Je me demande pourquoi il a honte d'avoir perdu contre moi ?

tu veux un peu de vin ? il est excellent, je l'ai volé dans la reserve d'Arthur, ni vu ni connu !

Cixi l'écoute, surprise. A la fin du récit de Gouranga, elle se retient de rire. Mais quelle idée il avait eu...

- Heureusement que tu as perdu, ça fera un bon dîner. Pour quelqu'un avec un seul bras tu t'en sort très bien, je trouve... Elle a eu quoi la radio

Elle s'approche et lui dépose un petit baiser sur la joue. Elle jette quand même un rapide coup d'oeil sur son bras pour voir si Graciellä ne l'a pas trop amoché

-Allez, laisse moi faire.

Elle prend deux couverts supplémentaire et rejoint la salle. Elle s'arrête un moment à la vue de Kormag s'empiffrant, et cela la fait sourire. Elle met les deux autres couverts et s'installe pour finir cette soirée mieux qu'elle n'a commencé.