Hommage au passé

Depuis qu'il était à Arkham, Gouranga avait exploré au cours de ses chasses les moindres recoins de la forêt environnante. Et il avait découvert de nombreux vestiges du passé, tous plus inutiles les uns que les autres. Mais il y a peu, il était tombé sur quelque chose d'intéressant, qu'il tenait à faire découvrir aux autres. Pendant plusieurs lunes, il avait patiemment ramené toutes sortes d'objets hétéroclites à Arkham, les dissimulant sous de grands draps. Le tout avait soigneusement été entreposé dans l'archerie, un bâtiment quasi-désaffecté depuis que Spiff et ses artisans faisaient des arbalètes.

Gouranga, profitant de l'arrivée d'un public inattendu, les Sénobytes, et du retour du beau temps, avait décidé d'inaugurer son petit musée cette lune. Ayant invité tout le monde qu'il avait trouvé au bar, il constatait qu'il y avait pas mal de curieux qui avaient répondu à son appel.

-Entrez, entrez, y a d'la place pour tout l'monde ! Il va sans dire que c'est gratos, hein... mais si certains ont encore un peu d'billets d'l'l'ancien temps, j'suis preneur : les réserves d'papier des chiottes commencent à baisser, héhé...

Ceux qui entrent peuvent alors découvrir une sorte de musée improvisé. Les murs sont ornés de divers tableaux anciens, pour la plupart abîmés ou moisis, ou simplement défraîchis par le temps. Sur des étagères et des piédestaux grossiers, sont exposés dans un équilibre précaire divers objets d'art : des sculptures, des parchemins, et d'autres objets étranges dont l'usage a été oublié depuis longtemps. Le tout est exposé de façon chaotique, sans aucun ordre ou thème particulier.

-Les gars, v'la un aperçu d'tout ce que la fibre artistique d'l'homme a crée depuis toujours. Des peintures, des sculptures, et d'autres trucs dans l'genre.

Prenant délicatement entre ses mains une statuette égyptienne tellement érodée par le temps qu'il est impossible de distinguer la divinité qu'elle représente, il souffle doucement dessus pour en chasser la poussière, et la montre à l'assemblée.

-Songez à la valeur inestimable d'tous ces trucs... qui n'servent à rien en soi, mais qui sont les vestiges d'un passé lointain, et les rares choses concrètes qui nous relient à lui. C'est pourquoi j'vous propose de vous joindre à moi pour rendre hommage à ce passé comme il convient.

Joignant le geste à la parole, Gouranga soulève la lourde statuette, comme pour la reposer sur son piédestal... mais au lieu de la remettre à sa place, il la lance violemment contre le mur. Tout en achevant de détruire un tableau d'un jaune délavé, la statuette explose en une myriade de fragments qui rebondissent avec fracas sur le sol en bois. Profitant du silence médusé de l'assistance, Gouranga reprend, en désignant du menton les fragments :

-Voilà c'qui reste d'notre monde : des débris ! Mais qu'on l'veuille ou non, ce monde, c'est l'nôtre à présent. Chaque génération passée a agi comme si c'était la dernière... et celle qui a engendré l'Crash a bien failli l'être ! Du coup, on s'retrouve tous à en chier au quotidien pour avoir n'serait ce qu'à grailler... et j'crois qu'il va falloir s'y faire. Mais pour achever d's'approprier ce monde de merde, il nous reste une chose indispensable à faire. Rompre avec le passé, définitivement.

Allant alors jusqu'à un vase qui a dû être fabriqué par des Etrusques il y a très longtemps de cela, il s'en empare, et se retourne vers les autres avec un sourire ironique.

-Vous savez, j'ne compte pas être l'seul à m'faire plaisir... donc servez-vous !

Surprise par la mise en scène et le vacarme de la statuette fracassée, Natalya fixe un regard incrédule sur le géant Noir. Mais il ne faut pas long pour que la junkie réponde à cette invitation à la violence.


"Sauveur invite. C'est rare, alors j'en profite, permettez?"


Quelques pas au beau milieu du bordel d'oeuvres d'art, puis la jeune femme semble jeter son dévolu sur un buste ancien, sans tête. Elle s'accroupit et colle sa joue au marbre glacé, enlaçant ce torse musclé aux contours travaillés. Manifestement un beau mâle. Natalya ferme doucement les yeux, semblant apprécier cet instant.


"Un homme comme ça, il me faudrait. Sans tête ... ET SANS QUEUE AHAAHAH !"


Se redressant brusquement, la slave bascule le buste de marbre en arrière d'un coup de pied vif, ce dernier venant se briser en deux blocs distincts dans un bruit mat.


"Homme-tronc! Homme-tronc! Pas d'tête, pas d'couilles! AHaHAahAh!"

[Alors là c'était la teuf au village! Kormag arrivant comme ça de par le plus pur des hasards, si si j'vous assure, assista à la fin de la scène, le Gougou se lâchant et la Natalya fracassant un buste! Visiblement le thème de la soirée était de tout exploser! Tiens tiens comme c'est intéressant.. Il fit quelques pas plus en avant dans la pièce et repéra une sorte de masque en bois sculpté, genre vaudou style.. Il alla s'en emparer et se le fixa sur le visage avant de se mettre à courir comme un demeuré congénital dans la pièce en poussant des cris de sauvages.. Je ne vous dépeint pas plus la stupidité de l'instant présent et le ridicule flagrant auquel s'adonnait l'homme mais en tout cas lui pour sa part il avait l'air de s'faire plaiz'..]

"Youhou! C'est d'la balle!! On s'fend la gueule!!"

[Et allez hop un kick dans un tableau, un placage à travers une vitrine, on notera la bienveillance du masque qui empêcha probablement à cet abrutis de s'arracher les deux yeux dans le verre éclaté.. Et puis on s'relève et bambambam! Une série de directs dans d'autres petites sculptures en argile étalées sur un présentoir! Tiens un grand tableau de merde! Allez tiens j'l'attrape et j'le fonssdé sur quelque chose! Kormag prit la peinture par le cadre à deux mains et tournant sur lui même, il la souleva en l'air et l'abattit le plus violemment qu'il put sans faire trop gaffe où en fait il envoyait l'truc..Et vlan!!!!! Oups..

Le tableau alla évidemment bien se faire empaler sur quelque chose, mais lorsque Kormag, lancé dans son plein entrain de destruction massive, vit ressortir la tête du Gougou à travers la toile de la peinture il scotcha quelques instants sur la tête du black émergeant du cadre lui entourant le cou, et un grand sourire de connard apparu sur sa tronche avant qu'il ne lache l'œuvre d'art et n'éclate de rire.]

"Si j'pouvais prendre une toph, j'l'enverrai au passage, j'suis sûr qu'ils apprécieraient par dessus tout ton érudition si poussée pour l'art!"

* Si la fête battait son plein à Arkham, Racayenne n'était pas en reste. Gouranga avait prévenu ses petits camarades mineurs et ceux-ci avaient approuvé cette excellente idée. L'art pré-crash était décadent et le symbole d'une civilisation qui les avaient conduit à leur perte. Détruire ces oeuvres ou les détourner pour les tourner en ridicule était un pis-aller idéologique que le projet Chaos devait entreprendre s'il voulait libérer les consciences de l'idée qu'il fallait revenir à la "civilisation".

Alors que Kormag s'amusait sur des statuettes et des vitrines, le Serbe et sa compagne complétement timbrée - si si, vous voyez bien, la rouquine qui trimballe une poupée pour lui enseigner l'art délicat de la découpe de zombie à la scie sauteuse - se trouvaient devant un tableau. Les commentaires allaient bon train. *


[HJ: il s'agit de la Joconde de Léonard de Vinci]


J'trouve qu'c'est une horreur sans nom... Comment ces civilisations décadentes ont elles pu faire croire à des milliards d'être humain qu'une croûte pareille pouvait représenter la beauté et le mystère? Non mais franch'ment, regarde moi ce sourire pingre et cet air miteux!

Putain, y'a rien à faire, faut aider cette pauvre pouffiasse à avoir l'air dans l'mouv'ment, sinon elle ne saura jamais ce qu'est la liberté. Tu vois c'que j'veut dire?

*Pas besoin d'être plus explicite. Entre timbrés, un sous-entendu ironique suffit à déchaîner les haines et les passions. Un sourire narquois sur les lèvres, Emeline pris un morceau de bois auquel des poils de Lobo avaient été préalablement accrochés. Des poils de Lobo? Ouais bah on fait avec les moyens du bord, si vous connaissez une boutique de peinture dans le coin, hésitez pas à faire signe, on ira faire des emplettes.

Elle trempa le tout dans un petit baril à l'odeur acre qui semblait être à première vue du pétrole et commença à badigeonner cranement la lèvre supérieure de la Joconde. Appliquée sur sa grand oeuvre, la langue coincée entre ses lèvres, elle s'évertuait de dessiner une fine moustache espagnole. Fière d'elle, elle se retourna vers le Serbe, un sourire éclatant de contentement éclairant son visage de déglinguée. *

Merveilleux ma chérie, merveilleux! Défigurée à jamais. J'avoue que j'aurais personnellement badigeonné le tout de noir en signe de deuil, mais c'est encore plus pervers!

*Le serbe se recula et ferma un oeil afin de mieux apprécier l'oeuvre. Soudain, il fit claquer sa langue. *

Attends... Manque quelque chose pour insulter cette salope... File moi le pinceau!

*ordonna-t-il de sa voix aigre. L'engin bien en main - non non, pas celui auquel vous pensez voyons, un autre! - il s'approcha de la toile de maître et dessina sous la femme ce qui ressemblait à des lettres. Satisfait, il annonna de manière vulgaire : *

L.H.O.O.Q

Bah avec ça, elle est habillée pour l'hiver cette radasse! Gwa! Gwa! Gwa! Gwa! Gwa!


[HJ: Merci à Skalp qui m'a donné l'autorisation de faire agir son perso. Aucune créativité de ma part sinon, je me suis inspiré de l'oeuvre de Marcel Duchamps ]

Fide avait attendu que les esprits se calment un peu avant d'entrer dans la pièce, si on pouvait encore appeler ça une pièce... Dans les quelques vidéogrammes qu'il avait visionné dans son enfance, certains champs de bataille étaient mieux rangés et moins ravagés que ce qu'il avait actuellement devant les yeux.

Il passa au milieu des décombres en fouillant ici ou là dans les restes d'un ancien temps.

Après quelques minutes de recherche, il trouva enfin ce qu'il recherchait: une représentation du Christ sur sa croix... Normal pour un prêtre vous devez penser!


Comment a-t-on pu être tellement dans l'erreur? Comment a-t-on pu euh... vouer un culte à la barbarie et espérer que le martyre qu'on affiche partout dans sa douleur viendra nous sauver? Comment a-t-on pu autoriser qu'une euh... religion qui a causé tant de guerres et de souffrances dirige le monde et le mène à sa perte? Voilà ce qui rend fou les hommes, voilà le genre d'icône euh... qu'adore l'inquisition, je ne t'ai jamais servi, je ne te servirai jamais...

Tout en parlant, Fide avait décroché le personnage de sa croix, puis lui avait brisé les jambes, puis les bras, l'un après l'autre, et enfin, en conclusion, la tête. Ensuite, pour respecter les lois qui étaient notées dans son livre, il enterra chaque partie séparément, de façon à ce que jamais elle ne soient plus réunies.

Spiff regardait l'assemblée de fanatiques fous furieux s'adonner au vandalisme à coeur joie sur des trucs qui ne pouvaient être, selon lui, que des pâles copies. Certes, en soi, ces copies véhiculaient leur propre sens chargé d'un symbolisme de l'ancien monde. Culte de l'image, désacralisation, appropriation, commercialisation. Si ça se trouve, la statuette égyptienne avait été distribuée par un de ces magasins qui offrait des tas de biblots ridicules pour orner les foyers vides de sens d'une touche d'exotisme dénaturé.

Mais en fin de compte... qu'est-ce qu'on en avait à branler ? Ces objets, même intacts, étaient déjà morts. Ils avaient perdus leur sens. Ils n'étaient qu'un vestige qui téoignait que l'humanité de jadis avait déjà existé. Un point c'est tout. Et ça, personne ne l'avait encor oublié de toute façon.

Alors à quoi bon ?

Les bras croisé, un sourire dubitatif ornant sa tronche, Spiff observait, l'impression vague d'être le seul être ayant encore toutes ses neurones...