Spiff était retombé sur ses pattes. Posément, il avait réfléchi deux nuits durant, enfermé dans son bordel de taule, s'attendant à tout moment qu'on vienne le flinguer pour un oui ou pour un non. Qui sait ce qui leur passe par le crâne à ces animaux ?
Les murs tombaient. Ses murs tombaient. Dans ce putain de désert, il avait trouvé Dhalia, Marty, Arthur, Bugg, Kham... même le Serbe et ce taré de Tarik... et tout ce beau monde s'étaient bien arrangés pour créer des murs imprenables et des déffenses mortelles. Un petit cocon douillet dans lequel il pouvait fuir le passé. Dans lequel il ne risquait pas de la rattrapper. Une fuite. Un enfermement volontaire. La sécurité. Des repas équilibrés selon les saisons, un toît, des atteliers pour s'occuper, des mains pour l'assister, une baise de temps à autre... Dans ce désert, on appelait ça le paradis.
Oh, il avait bien contribué. Pour être en sécurité dans ce bas monde, pour défendre son coin de paradis, suffit pas d'être entouré de mecs balèzes, encore faut-il qu'ils soient armés pour mieux nous déffendre... Alors il leur avait fait des lances. Puis des arcs, des petits, des grands, des flèches. Puis il leur avait fait des arbalètes parce que de plus en plus de gens trouvaient des flingues. Et comme certains trouvaient même des buggies armés, il avait érigé deux balistes autour d'Arkham. Pour le reste, ses gentils déffenseurs pouvaient se débrouiller...
Enfin, c'est ce qu'il avaut cru. Mais c'était trop beau... beaucoup trop beau. Et là c'était la merde. Et dans sa petite tête de parano, Spiff sentait que ce qu'il savait faire, pour une fois, le mettait en danger. Pourquoi laisser en vie quelqu'un qui pouvait armer vos ennemis ? P'têtre que de toute façon les arbalètes étaient plus à la mode... Mais comment en être sûr ? Sa radio moisissait dans un recoin de son taudis depuis un bon moment...
Alors il avait écouté. 48 heures durant, il avait frénétiquement alterné les fréqences pour se renseigner, apprenant les noms d'acteurs majeurs dans l'équilibre de puissance du désert encore méconnus par sa personne, reconnaissant des références à d'autres. Il avait assimilé. Disséqué. Certes, il avait du retard. Il était devenu complaisant, pensant qu'il avait trouvé la combine parfaite pour le confort.
MAIS POURQUOI ILS N'AVAIENT PAS PU SE CONTENTER DE CE QU'ILS AVAIENT !
Spiff voyait son monde s'écrouler.
BORDEL !
Ses options s'écroulaient une à une à force de lire les magouilles entre les lignes de ce que déblatéraient les gens à la radio. Il voyait des complots partout. Il sentait les trahisons qui étaient encore à venir. Il se permettait une sortie de temps à autre, toisant les réactions des gens à sa sale gueule, prêt à recevoir une balle tout sauf perdue dans la gueule au moindre instant. Mais rien. À quelque part ça l'insultait.
À la conclusion des 48 heures, il était allé droit vers le bureau où Dhalia tenait ses réunions. Le teint livide, les cernes creux mais l'air décidé. Il avait cogné alors qu'un mariole bariolé d'un -Z- de chair en plein visage pointait un flingue sur lui.
C'est bon, je suis avec vous.
Sur un table non loin du molosse était posée une arbalète modifiée, mouture spéciale Arkham. Une Antisociale. Tachée de sang. D'après ce qu'on raccontait aujourd'hui, ce devait être l'arme de Marty. Lentement il glissa les doigts dessus et l'empoigna. Marty. Ce fils de pute avait au moins le sens de la répartie. Sa poigne sur l'arme se raferma. L'autre gus bronchait pas. Pas de careau en vue de toute façon.
On part quand ? Et qui me fera mon Z ?
C'était une étape à passer. Désagréable mais de courte durée. À partir de maintenant il tuerait pour vivre. C'était pas trop son fort mais il apprendrait. Ces sauvages seraient ses murs et, dans une certaine mesure, il serait le leur. C'était p'têtre ça l'amitié au fond... mais qu'est-ce qu'il en savait. P'têtre qu'il n'était qu'une petite pute moche qui vendait ses services pour pas cher...