Lola était étendue sur le sable, lovée contre sa besace.
Elle aurait aimé se plonger entièrement dans ses pensées mais l'activité à laquelle se livrait Lobo obligeait son esprit à rester éveillé.
Elle aurait peut être à intervenir si les pulsions masochistes de Lobo devaient l'entraîner plus loin que ses étranges rituels tribaux. Pendant qu'il scarifiait d'étranges symboles avec les braises du feu, sa main se crispa et commença à la faire souffrir. La pointe de la flèche qu'elle serrait à l'intérieur de sa paume avait fait ses marques. A chacun ses démons. Enfin mieux valait la douleur que l'angoisse de se retrouver désarmée et découvrir que le sacrifice ou l'anthropophagie entrait dans la culture d'un guerrier de l'envergure de LoBo el LoKo.
Ce putain de trek aurait pu ressembler à un véritable voyage initiatique. De nouvelles rencontres, de nouvelles possibilités, de nouvelles responsabilités et la compagnie d'une religieuse venue d'un autre temps en pleine transe shamanique.
Lola avait pris soin d'elle, l'avait emmenée aussi loin qu'elle avait pu la porter. Mais la pesanteur n'oublie jamais personne. Elle vous revient dans la gueule au moment où l'on pense flotter libre entre ciel et désert. L'arrivée de Lily et du reste de sa troupe aurait du la soulager d'un grand poids mais elle avait en fait ressemblée à l'impact de ses rêveries sur une dalle en ciment.
Elle avait laissé en confiance l'Abbesse derrière elle et était parti vers ce qui s'était révélé être un mirage. Sa radio lui avait transmis la dernière crise de l'Abbesse que Racayenne n'avait pu stopper que dans le sang. Cette nouvelle communauté tournée vers le soleil couchant aura vu s'éteindre l'Abbesse. La seule religieuse que Lola aurait jamais respectée. Bon ou mauvais augure, Lola ne pouvait le dire mais Racayenne avait eu son sacrifice, sa naissance était consommée.
Lobo semblait maintenant s'être calmé un peu. Lola relâcha un peu son attention et détendit sa main. Elle aperçu une silhouette au loin. Lobo lui lança un regard entendu, il avait du la repérer depuis un moment déjà. Il s'assis et se lança dans un travail plus minutieux avec ne braise vive. Lola ne quitta pas sa position mais vérifia que son arc était à portée. Même si Lily avait annoncé un visiteur probablement pour cette nuit, en plein désert, à trois lieues de Racayenne, deux précautions valaient mieux qu'une balle dans le ventre.
Ce voyage ou les bruits d'Arkham, relayés par sa radio qu'elle branchait le moins possible, lui faisait apprécier le désert. Trop de nouvelles voix, un début de dissonance, quelques couacs, la symphonie du projet était moins harmonieuse et plus complexe avec ces nouveaux choeurs. Bon courages aux chefs d'orchestres. Gougou tiens les baguettes et Arthur déchiffre la partition. L'improvisation devient hasardeuse pour la survie de l'ensemble. Quand tout le monde aura accordé ses violons, tout redeviendra peut être plus fluide.
Plus que jamais, les Arkhamiens se laissaient aller à leurs démons. Peut être que rien ne changeait. Peut être que la radio, la solitude, le désert et la proximité de la Bête déformait ce qui se passait là bas. Mais Lola sentait dans son être qu'avec la population galopante d'Arkham, les phobies des uns se conformaient aux déviances des autres. Le masochisme répondant au sadisme et se nourrissant l'un l'autre. D'étranges rapports se nouaient.
Lola avait aimé côtoyer ses êtres perturbés, marqués par la bête. Elles les aimaient. Elle avait aimé plus que tout, voir ses hommes si différents, si déchirés, se soutenir l'un l'autre. Elle avait trouvé du réconfort auprès d'eux. La denrée la plus rare de ce maudit désert ... Mais aujourd'hui, cette union, voyait plus souvent les démons de chacun pactiser ensemble plutôt que se retrancher dans l'inconscient.
La silhouette se révèle être un homme.
Lola, Tafilade ne reviendra plus, se dit-elle à elle même. Cesse d'espérer ma grande. Tu ne reverras même pas son cadavre. Alors fais toi une raison !
Il avance dans le désert. Bon point pour lui, un homme immobile dans le désert est un cadavre. Il porte des lunettes de soleil sans verre qui ne doivent pas lui être d'une grande utilité. Ce détail et peut être un certain dénie de la réalité l'empêche de le reconnaître tout de suite. Et puis son coeur se serre. Ljubica ...
Il est réellement venu comme il le lui avait annoncé il y a quelques lunes.
Elle attendait de voir ses yeux. Au jugée des quelques contacts qu'elle avait eu par radio avec lui et de l'écoute de la fréquence communautaire d'Arkham, il s'était investi totalement dans l'organisation de la communauté et avait complètement laissé la place à sa personnalité froide et calculatrice et se vautrait plus que jamais dans ses lymbes. Le désert est un menteur, sa seule vérité se trouve dans les corps éphémères qui le jalonnent.
Elle voulait savoir.
Se souvenait-il encore ?